mercredi 22 octobre 2014

Gone Girl... La bombe de Fincher...

Fincher et moi, c'est une grande histoire d'amour (OK, lui ne le sait pas, mais quand même!) Je ne dis pas qu'il ne s'est pas parfois égaré (mais d'où lui est venu cette idée saugrenue d'adapter Millénium alors que la série originale est déjà si réussie? Une indulgence face à un public américain qui refuse de lire des sous-titres??? Bref...)

Ça a commencé avec Fight Club... Le plus grand film de tous les temps selon moi. Et puis j'ai vu des films comme le nihiliste Se7en, The Game, The Social Network, le méticuleux mais un peu chiant quand même Zodiac ou encore Benjamin Button (qui m'a fait pleurer comme une madeleine, et ça ne m'arrive pas souvent!). À chaque fois, à des degrés différents, le talent du réalisateur s'affirme. Alors quand on m'annonce que Fincher a encore fait fort, j'y vais sans trop me poser de questions, même si a priori, il s'attaque à un genre que je n'affectionne pas particulièrement, le polar.



Et là, c'est la claque. Attention à toi lecteur, si tu n'as pas encore vu le film, arrête tout de suite la lecture, parce que je vais spoiler, spoiler et encore spoiler. Il est encore temps de stopper ta lecture. Après, je ne suis plus responsable de rien.

Non??? Tu es toujours là, lecteur adoré? Tu es sûr de toi? OK, c'est parti.

Tout d'abord, ça commence par l'installation d'une atmosphère bien particulière. C'est comme si on était dans du coton, anesthésié mais pas complètement, shooté à la novocaïne en permanence. On est transporté dans l'intimité factice d'un couple qui paraît avoir réussi sur tous les plans et qui pourtant se délite de l'intérieur. Le premier plan est sans équivoque : Ben Affleck sort les poubelles puis s'immobilise devant sa maison immense, prêt à prendre le volant de sa grosse cylindrée, le journal sous le bras (le gars à 35 ans à tout casser!!!), le regard préoccupé, perdu dans les rues désertes de ce Wisteria Lane aux teintes beiges. La musique de Trent Reznor, actrice majeure de la maestria de Fincher, berce déjà le spectateur telle des illusions qui commencent, presque imperceptiblement, à flancher. (On sent d'ailleurs l'influence feutrée de la musique de Twin Peaks).

Gone Girl, c'est d'abord le portrait de Nick Dunn, un homme faible. Un homme dont les dessous ne sont pas bien propres, un homme qui a laissé sa vie lui échapper et qui essaie de se sentir vivant par des moyens peu nobles, parfois avilissants. C'est la descente aux enfers classique du mari, suspect numéro un dans la disparition de sa femme. Et le spectateur ne parvient pas à ressentir de l'empathie pour lui : alors que la thèse de la machination s'impose aux yeux du spectateur, le gâchis de sa vie devient de plus en plus évident. Ses déboires professionnels, sa déroute amoureuse et les clichés qui l'accompagnent (la maîtresse beaucoup plus jeune, les disputes sur l'argent, le bellâtre qui prend de l'embonpoint...) se dessinent à chacun des indices qui le mènent à la clé de l'énigme. Ben Affleck est magistral en homme qui ne s'est pas vu vieillir. Alors que s'organise une campagne de recherche menée par ses beaux-parents (mais pourquoi n'y a-t-il pas songé lui-même?), on le voit sourire à la demande des journalistes à côté de la photo de sa femme disparue (déjà morte?). Sociopathe ou grand maladroit? (étonnant de la part d'un journaliste). Il se laisse manipuler avec une facilité déconcertante, parfois touchante. Et systématiquement par des femmes, comme le souligne cette scène où il fait un selfie avec une voisine cherchant plus ou moins à le draguer. Alors qu'il comprend son erreur et cherche à lui faire effacer la photo, elle lui rétorque qu'elle fera ce qu'elle voudra de la photo, comme si c'est lui qui avait été invasif. Et c'est à ce moment-là qu'il se retrouve complètement dépossédé de son identité, de son image. Il n'est plus victime, ni suspect, ni mari. Il est désormais la proie des média qui feront de lui une cible privilégiée.



Fincher traite clairement les média comme un personnage à part entière. Il y a encore quelques années, les hommes d'affaires, les banquiers, ou encore les avocats étaient représentés comme de véritables ordures sans foi ni loi. Aujourd'hui, les requins, ce sont les journalistes. Ils se jettent sur Dunn comme des charognards, avides de sang (veulent-ils vraiment croire qu'Amy, dont le corps est toujours introuvable, est vivante?). Dunn tente bien de jouer leur jeu (pas tout seul, hein, avec un avocat qui coûte une blinde et qui finit de le ruiner lui et sa famille) mais au final, tels des chats, les journalistes retombent toujours sur leurs pattes. Sans aucun amour propre, sans pudeur. C'est la désinformation organisée que dénonce Fincher. On ne cherche pas à informer, mais à raconter des histoires rocambolesques, palpitantes. On colle aux attentes du spectateur, qui n'est plus un citoyen responsable mais un consommateur rivé à sa télévision.



C'est ce qu'a bien compris Amy Dunn, femme blessée (et un tout p'tit peu sociopathe sur les bords). Au passage, donnons tout de suite l'Oscar à Rosamund Pike, on gagnera du temps. Après une première partie où elle n'apparaît qu'en flash back, le personnage prend réellement son envol à la deuxième partie du film, quand il devient évident que le mari trompé a été trompé. Mais au-delà de la femme froide, calculatrice et implacable, il y a l'histoire d'une femme dépossédée par ses propres parents. Enfant issue d'un milieu New-yorkais huppé, il devient très vite évident qu'elle a été utilisée par ses parents (ou plus exactement dépossédée). Sa mère, écrivain pour enfant, a créé le personnage de "Amazing Amy" pour une série de livres à succès (genre de Martine) en prenant pour inspiration les grandes étapes de la vie de sa progéniture. Problème : quand Amy ne fait pas, échoue, refuse, se détourne, est en retard, Amazing Amy devient très vite un miroir déformant qui ébrèche chaque fois un peu plus le moral et l'estime de soi de "Plain Amy". Mais voilà : Amy est richissime, et ce grâce à son alter ego. Alors quand Amazing Amy se marie, elle est bien obligée de faire bonne figure et d'étaler devant les journalistes sa vie amoureuse et de se justifier (jusqu'à ce que, tel un preux chevalier, Nick la sauve en la demandant en mariage). Mais l'injustice est telle, que quand frappe la crise de 2009, Amy donne (de son plein gré) la quasi totalité de sa fortune à ses parents, ruinés. Et le fait qu'elle et Nick viennent d'être licenciés ne change rien. La spoliation est totale. Elle n'est plus personne, et c'est à ce moment, je pense, que l'étau se referme autour de la relation Nick / Amy .

Attention :  ce n'est pas son mari qui la pousse à la folie (l'intrigue aborde ses histoires d'amours antérieures à son mariage, et ses vengeances diaboliques). Mais être trompée l'oblige à affronter l'échec de son mariage et la blessure de la trahison. Parce que dépossédée de tout, elle va attendre de son mari un amour inconditionnel. Mais face au quotidien (les problèmes d'argent, l'emprise familiale, le déracinement...) l'amour s'use, et Nick accumule les faux-pas, jusqu'à la maîtresse (qui curieusement, ne s'attire pas les foudres de notre sociopathe). Et là, s'en est trop.

Choix intéressant, c'est quand il devient clair pour Nick qu'il a été victime d'un coup monté par sa femme, et que le prochain arrêt risque d'être le couloir de la mort, que l'intrigue le quitte pour suivre Amy. Elle part sans remord, au volant d'une vieille voiture, filant à toute allure le plus loin possible. De victime (comme l'insinue Fincher lorsqu'il insère des passages de son faux journal intime en voix off pour enfoncer davantage Dunn aux yeux du public) elle devient froide calculatrice.
Alors qu'elle déroule le fil de son plan tout en éliminant les preuves, le perfectionnisme de sa folie se fait jour (même les stylos fantaisie utilisés pour rédiger son faux journal intime sont dans le thème et donne du corps à l'affabulation). Sa détermination est telle que, sans le moindre ménagement pour son corps, elle est prête à finaliser son plan avec son propre cadavre. Et puis les choses changent petit à petit. Pourquoi mourir? Elle s'invente une nouvelle identité, change de coiffure, s'affuble de lunettes, prend un accent du sud populaire. Elle suit alors "les aventures" de Nick à la télévision, devenant la spectatrice que les média cherchent à satisfaire. Sa mesquinerie ressort de temps en temps (crachat dans une limonade à l'appui). Elle se montre si méprisante, si imbue d'elle-même et de son intelligence, qu'elle va se laisser aller à à la négligence et finalement se faire berner par deux junkies white trash, qui - sous leurs dehors ploucs - la percent à jour très rapidement. Et c'est alors que commence un troisième acte à la cruauté sans pareil.

Dépossédée à nouveau, elle se tourne vers son ancien amant, le très riche et très amoureux Desi Collings - Patrick Neil Harris, qu'on lui donne aussi un Oscar, tant qu'on y est. Elle lui avoue tout (enfin, elle se fait tout de même passer pour la victime, hein... Elle avait peur pour sa vie...), le rend complice, lui fait croire que tout est possible, et lui, transi d'amour, est prêt à toutes les dérives. Alors bien sûr, ce n'est pas un conte de fée, et il est clair que le monsieur à des conditions et se montre légèrement pressant. Le refuge (un chalet tout confort caché au milieu de nulle part) devient une cage dorée (le système de vidéo surveillance est très performant). Mais voilà, alors que son mari fait son mea-culpa à la télé (en lui envoyant tout de même quelques messages subliminaux pouvant être traduits par "I know everything, Bitch!") elle voit une échappatoire  une déclaration d'amour. Prête à tout pour survivre, elle prépare dans les moindres détails sa fuite. Malmenant encore une fois sa personne (je ne verrai plus jamais une bouteille de champagne sans frissonner), elle met patiemment sur pied une mise en scène pour faire tomber son "sauveur" tant socialement que physiquement. Et après avoir orchestré la disparition (le sacrifice) de Collings (il n'est d'ailleurs pas évident que l'homme avait l'intention de la séquestrer quand on y réfléchit bien...) elle revient au bercail de manière spectaculaire, couverte du sang sacrificiel, tombant d'un mouvement exagéré dans les bras du mari à deux doigts de la garde à vue. La boucle est bouclée : il n'est plus coupable, la police peut remballer son enquête et se contenter de sa version à elle.

Et lorsque des doutes sont émis (par le mari, par l'enquêtrice principale), que la version de la "victime" est remise en question, la réponse est "Ne pouvez-vous pas simplement être content qu'elle soit de retour?" (Comme le souligne le policier à l'hôpital, alors que les failles de son scénario commencent à affleurer). Evidemment, les caméras sont là. Lors de son grand retour... lorsqu'elle rentre de l'hôpital (toujours couverte de sang)... Et les jours suivants... Amy accueille les journalistes chez elle, et piège Nick avec une grossesse (fictive?). Elle lui avoue tout (sous une douche, pour vérifier qu'il n'a pas de micro) dans une déclaration d'amour hallucinante et c'est alors que les rôles s'inversent. Il a peur, il s'enferme, craint pour sa vie. Mais il se retrouve seul, car même si on le croit, elle a véritablement réalisé le crime (pas si) parfait avec la complicité de la bien-pensance américaine et des média, pourtant prêt à réclamer la tête de Dunn quelques jours plus tôt. Et tant pis pour Collings, qui endosse le rôle du salaud dont on réclame la tête. Et c'est la mort dans l'âme que Nick annonce à sa sœur jumelle (son seul soutien indéfectible) qu'il capitule et qu'il reste avec Amy. Lâcheté? Sens des responsabilités retrouvé pour un enfant à naître avec une mère passablement dérangée? Ou a-t-elle raison? Font-ils vraiment la paire? Et c'est sur le même plan que se termine le film, à une différence près: les camions-relais de chaînes TV garés dans la rue.

C'est avec les faux semblants que Fincher joue. Et à ça, il est très fort. Montrer un couple qui se délite sous la pression du quotidien, une personnalité qui se désagrège, un instinct de survie qui s'éveille... Au final, les twists sont assez secondaires. On les voit arriver d'assez loin (quoi??? elle est vivante???? Non!!!!). C'est voulu, je pense. Parce que ce qui est intéressant, ce n'est pas de surprendre le spectateur, mais de l'accompagner dans la folie de son personnage principal, d'expliquer pourquoi et de montrer comment elle l'a fait. Comment "Plain Amy" est enfin devenue "Amazing Amy". Parce que malgré l'horreur de ses actes, on ne peut s'empêcher d'admirer sa détermination et sa maestria. 

Enfin, pour l'addict de pop-corn movie que je suis, Gone Girl est un film palpitant malgré ses 2h30. Je n'ai pas eu l'impression d'être prise pour une débile et on égratigne pas mal tout ce qui me fait mal dans un pays qui s'érige en modèle. Ça fait longtemps que je ne suis pas ressortie d'une séance de cinéma aussi secouée. Et ça fait plaisir.


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